jeudi, mars 31, 2005

Ciel voilé. Poussière. (101)

Nostalgie

Faut-il que je te dise, mon amie, que la semaine dernière n’a pas été de tout repos. J'y ai jusqu'à vu du poil de kiwi dans ma soupe. À titre d'exemple, le jour même du 21 a été particulièrement coulant. Non pas dans le sens de « se la couler douce » à cause du beau temps printanier, mais disons que, j'ai plutôt porté une sorte de nœud coulant autour de la gorge, puis en bandouillère, un vieux genou rouillé qui grinçait à fendre l’âme. Ô, ma douleur, qu’as-tu fait de notre complicité?

Cette semaine, toutefois, je vais mieux, et, aujourd'hui, j’ai bien envie de te parler d’un personnage que nous connaissons toutes les deux. C’est ce beau foulard bleu enroulé autour de son cou, qui a fait soudainement chavirer ma mémoire par-dessus le présent.

Bref, était-ce le printemps? Ou était-ce l’automne? En tout cas, peu importe. C’était en 69, sur la rue Sainte-Catherine, à Montréal. Il faisait gris, je crois. Je portais, ce jour-là, un pantalon pâle rehaussé d’une robe-chandail de laine mauve, avec un foulard et un béret de même couleur que ma mère m’avait crochetés. Oh! un simple voeu exaucé après avoir lu La robe mauve de Valentine ...! Mais non, ce n’est pas de la Française, Françoise Sagan, dont je veux te parler. Mais, n’est-ce-pas, mon amie, qu’à l’époque, Marie-Claire Blais faisait beaucoup moins de bruit que l’hyper mondaine écrivaine française?

Vois-tu, je me rappelle encore comme si c’était hier, le moment où nous nous sommes croisées, elle et moi, sur le trottoir. Toute petite, toute menue et si fragile, comment te décrire ce long regard indéfinissable qu’elle a posé sur moi, même en se retournant? Un regard qu’elle a fait couler entre ses doigts comme une eau vive … Et dire que j’ai laissé échapper cet instant troublant au beau milieu de mon embarras!

Si tu savais, Deca, comme je regrette, aujourd’hui, de ne pas avoir pris un café avec elle, quelque part dans un restaurant à proximité, cet après-midi-là! Ce n’est que beaucoup plus tard, que j’ai compris que « [...] ce qui compte, ce n'est pas ce que fait quelqu'un, c'est quelqu'un. Sa présence. »

Il est vrai, que la plus grande écrivaine vivante du Québec a eu beaucoup plus d’un personnage dans son sérail. Et ne vit-elle pas, justement en ce moment, avec Renata, Mélanie, Carlos, Augustino et les autres? Moi, qui ai toujours cru qu’elle avait choisi la Solitude, comme amante!

À toi pour toujours,
May West