mercredi, décembre 07, 2005

Faible averse de neige

Scène de ménage

Il y a maintenant un peu plus d’une nuit de cela, mon amie, j’ai lu pendant plusieurs heures d'affilée; presque jusqu’au petit matin. Janette Bertrand avait tant de choses à dire et à raconter!

Toute une vie vécue aussi intensément, aussi passionnément, en passant par la Seconde Guerre mondiale, les débuts de la télévison, la visite des Beatles à Montréal, la minijupe, Twiggy, la première femme élue députée au Québec, la découverte de la pilule anticonceptionnelle, sa dyslexie, son amour pour son mari et ses enfants, son travail comme courriériste, scénariste, animatrice, alouette, bref, de quoi tenir en haleine une lectrice féministe endurcie et fatiguée de l'être comme moi.

En tout cas, Janette ou pas, imposssible de dormir, cette nuit-là. De passager à temporaire, ce dérèglement dans mon sommeil est tout à fait normal (mais pas hormonal…!) à cette période-ci de l’année.

Mais non, voyons, je ne crois pas que les événements de la veille aient eu une quelconque incidence sur cette insomnie saisonnière ... Sauf que, mon amie, il faut que je te dise la vérité. Alors pourras-tu m’indiquer la voie à suivre. La bonne, évidemment. Justement, pas plus tard qu’avant-hier, j’ai bien failli m’emporter de sorte que l’issue aurait pu être fatale. Tout ça, à cause du cadeau d'anniversaire de ma brune (de plus en plus) grisonnante! Comme tu sais, sa fête arrive toujours exactement une semaine après la fête de Noël.

Alors, voilà. Ce soir-là, elle me dit qu’elle a trouvé ce qu’elle cherchait. Une montre « pour tous les jours », comme elle dit, qu'elle aurait dénichée dans un grand magasin, à prix abordable, après de multiples réductions substantielles. Elle l’a d’ailleurs mise de côté avec l’intention d’aller la chercher, hier, et pourrait-elle encore profiter d’un rabais supplémentaire, ce jour-là.

Ma première réaction a été de lui offrir d'aller avec elle. Mais, le hic, c’est que j’avais déjà prévu une sortie avec ma mère, dans la matinée, et, plus important encore, les mardis et mercredis après-midi, j’aime bien aller patiner à l'aréna situé près de chez-moi. On a donc envisagé divers scénarios; aucun d’eux ne convenait ni à l’une ni à l’autre.

Impasse!

Réalisant toute la pesanteur du dilemme dans lequel je m’étais embarquée en lui offrant de l’accompagner, je me suis mise à patiner… tant et si bien, que je me suis sentie vite enfoncer sous une glace de plus en plus mince.

D’instinct, je voulais lui faire plaisir à tout prix. Or comme il m’arrive souvent dans ces circonstances-là, une confusion certaine s’est emparée de mes réactions. D’un côté, je ne voulais pas lui être désagréable, mais d’un autre, je tenais à ne pas manquer ma période de patinage à l’aréna.



Comme toutes les histoires ont une fin, celle-ci, heureusement, finit bien. Plus tard, dans la soirée, j’ai finalement pris ma décision sans aucune espèce de culpabilité. Je me suis dit qu’elle n’aurait peut-être pas tergiversé autant que moi, s’il s’était agi, pour elle, de se priver de jouer au tennis avec ses amies, par exemple, si la situation avait été inversée.

Alors, comme je sais qu’elle adore magasiner, avec ou sans moi, je lui ai donc suggéré d’aller seule acheter sa montre et de me présenter la facture une fois que l’affaire fut réglée.

Mais penses-tu, mon amie, qu’il est sain dans un couple, qu’il arrive que ce soit souvent la même personne qui se sacrifie ou sente que ce soit elle qui le fasse la plupart du temps pour faire plaisir à l’autre? Comme si le plaisir de l’autre était plus important que le sien. On l’aime tellement qu’on a peur de … Enfin, tu vois ce que je veux dire?

À bien y penser, Janette y est pour quelque chose dans ma décision. Savoir s’affirmer dans un couple sans que le fardeau n’ait à peser plus lourd d’un bord que de l’autre semble être, d’abord et avant tout, une question d’estime de soi.

Comme elle, toutefois, il me faudra travailler encore longtemps pour y arriver. Mais à l’âge de 79 ans, on peut presque dire, qu’elle, elle a enfin réussi …!

Y aurait-il donc de l’espoir, mon amie?

À toi pour toujours,
May West