lundi, janvier 09, 2006

Faible neige

La taupe

Ce matin, mon amie, j’avais un chat pris dans la gorge. Comme un poil de travers, j'imagine, mais sans te dire cela de façon licencieuse …

C’est qu’hier, en voyant le film «Joyeux Noël», en plus de me sentir vaciller dans une sorte de fascination pour cette époque, un peu comme si j’y avais déjà vécu, j'ai eu l’idée de raconter une histoire à Minouchka. Or, tout en la caressant, plus tard dans la soirée, voilà que je me suis mise à lui souffler cette histoire-là dans les oreilles ...

« Il était une fois, des petits enfants français, anglais et allemands qui, à l'école, apprenaient à se haïr en récitant des poèmes pleins de hargne envers les uns et les autres. C'est certainement à force de se haïr de la sorte, que les gens (leurs parents, sans doute) ont fini par se déclarer la guerre. Ils ont appelé cette guerre la Première Guerre Mondiale 1914-1918.

Alors que les Français faisaient la guerre aux Anglais et les Allemands aux Français et ainsi de suite, il s’est trouvé, comme par hasard, un petit chat qui vivait et circulait dans le no man’s land séparant les trois camps.

Bien sûr, ce petit chat n’avait pas droit, comme toi, aux meilleurs fauteuils de la maison; encore moins, à un grand lit douillet dans lequel il aurait pu se vautrer pendant toute la journée, à l’abri du froid.

Il n’avait pas, non plus, à portée de la main, ou d’un tout petit saut, ou encore de quelques « steppettes », un grand bol d’eau fraîche et un autre rempli de grenailles dont tu raffoles tant.

Non pas du tout. Rien de cela ne faisait partie, ni de son menu quotidien, ni de son ordre du jour. Au contraire, il se déplaçait d’une tranchée à l’autre en se faisant appeler Nestor d’un côté, puis Félix de l’autre et semblait parfaitement à l’aise avec ça.

Bien sûr, on aurait pu croire qu’il était vachement débrouillard, le petit chat jaune, pour arriver à trouver ainsi d’un côté comme de l’autre la main qui le caressait, puis la misérable pitance qui le gardait en vie.


Sauf que, plus discret que son ombre, jamais il ne disait à l’un le contraire de ce qu’il avait entendu dire de la part de l’autre. Devines-tu pourquoi? C’est qu’il n’était ni tout à fait Nestor ni tout à fait Félix. Un chat n’est pas vraiment un vrai chat, s’il est une taupe, hein? ... Eh oui! ma petoune, s’il avait vécu à cette époque-ci, il aurait été très juste de l’appeler « La Panthère jaune » ...

Mais, hélas, l’histoire de Félix-Nestor aurait eu une fin beaucoup moins triste, s'il n'avait pas été accusé d'espionnage, puis arrêté par l'armée française et fusillé en application du règlement. Car, vois-tu, c’était la guerre pour lui aussi, après tout


Quant à moi, mon amie, je n’aime pas particulièrement les films de guerre, mais celui-là m’a inspirée, comme tu vois. Reste à savoir, où et quand, on érigera un monument en hommage au Chat-espion inconnu

En attendant, il est bon de te savoir à l’écoute de mes histoires de chats qui ronronnent … à boire debout toute la journée durant.

À toi pour toujours
May West
P.S. Non à l'exécution des chats !
Au cours de ses recherches, Christian Carion
, le réalisateur du film, avait lu l'histoire d'un chat qui circulait d'une tranchée à l'autre et qui, accusé d'espionnage, a été arrêté par l'armée française, puis fusillé en application du règlement. Le cinéaste avait voulu montrer cela dans son film, il a donc tourné cette séquence très dure d'exécution, malgré le refus de certains figurants d'être du peloton.

Ayant eu beau leur expliquer que cette scène s'était vraiment déroulée pendant la guerre (et qu'ils tireraient à blanc), ils n'ont pas cédé. Finalement, au montage, le cinéaste a décidé de ne pas garder cette mise à mort. "C'était trop, explique-t-il. Les spectateurs auraient décroché, ils n'y auraient jamais cru alors que c'est arrivé !"