dimanche, juillet 16, 2006

L’autre zoo, la nuit (2)

Autant te dire tout de suite, que ce n’était pas la première fois que, dernièrement, maman était transportée d’urgence à l’hôpital. Elle y avait passé plusieurs jours, quelques semaines auparavant, afin d’y soigner des douleurs aiguës causées par des vertèbres brisées à la suite d’une vilaine chute l’hiver dernier.

Toujours est-il que, ce soir-là, lorsque je suis arrivée moi-même à l’hôpital, ma sœur Diane, que j’avais rejointe un peu plus tôt au téléphone, m’attendait dans la salle des urgences générales. Maman, elle, était couchée sur une civière dans un cubicule. Deux infirmières s’affairaient autour d’elle. Plus tard, le médecin de garde ayant établi le diagnostic d’une infection urinaire lui a prescrit aussitôt des prises de sang, et lui a fait installer un cathéter.

Pendant ce temps, ma sœur et moi attendions dans le couloir adjacent à la salle. À cette heure tardive de la nuit, il y régnait une atmosphère étrangement calme. Dans ce couloir sombre, on pouvait voir plusieurs civières inoccupées bien alignées les unes derrière les autres le long du mur. Pour te dire la vérité, cela ne correspondait pas tout à fait à l’image chaotique, voire même apocalyptique des nombreuses « alertes aux urgences bondées» qu’on nous décrit parfois dans les médias.

Les minutes s’égrenaient à la vitesse record … du temps-mort. Justement, pour tuer le temps, entre 1 h et 4 h, j’ai dû faire cent fois les mille pas et mille fois les mêmes pas, tantôt dans la salle calme où trois ou quatre autres patients dormaient et ronflaient, tantôt dans le couloir sombre et vide.

Entre-temps, était-ce une infirmière ou une préposée qui, accoudée sur le comptoir, cognait des clous au poste des infirmières? Que veux-tu, mon amie, le temps est long la nuit dans une salle d’urgences générales aussi désespérément paisible que celle-là!

Or, pendant tout ce temps à attendre les résultats des prises de sang, puis le rapport du médecin de garde, et à marcher afin de nous tenir éveillées, on espérait toujours, ma sœur et moi, qu’on allait garder notre pauvre mère le reste de la nuit, à tout le moins jusqu’au lendemain. Pas du tout, mon amie. D’ailleurs, je te préviens qu’il est possible que certains faits risquent ici de te choquer.

Enfin, bien qu’on lui ait expliqué que la bénéficiaire, en l’occurrence une personne de quatre-vingt cinq ans qui vivait seule dans un petit appartement d’une résidence de deux étages pour personnes âgées dépourvue d’ascenseur, le médecin de garde, cette nuit-là, devait avoir d’autres préoccupations en tête, mon amie. Car après quelques tests et sans avoir vraiment pris le temps de vérifier, ni son dossier ni la liste de ses médicaments, il a décidé froidement de renvoyer maman à la maison équipée de son cathéter et toujours souffrante. Bref, je ne me souviens pas qu’il lui ait même administré un calmant avant de quitter l’hôpital.

Évidemment, cette décision lourde de conséquence a certes été prise essentiellement pour des motifs financiers et technocratiques. Selon l'infirmière, les critères et la procédure imposent régulièrement des décisions semblables.

Maman a beau avoir sept vies comme la plupart des chats de ce grand cirque de la vie, mais la zoomanité ici m’est apparue soudainement dans toute son horreur, mon amie …! En tout cas, peu importe, à cette heure-là du matin, il n’était pas question que maman s’en retourne chez elle. Alors, puisque je me voyais pour un temps indéterminé dans l’obligation d’en prendre soin moi-même, il valait mieux que je l’amène chez moi.

À 4 h, ce matin-là, fatiguée et complètement découragée, voilà que j’ai eu le privilège d’assister aux frais de l’État à mon premier cours de techniques infirmières 101: Comment vider le sac d’un cathéter … ! Puis, grâce à la générosité du système, l’infirmière, avec son sourire le plus charmant, m'a enfin remis en mains propres tout pêle-mêle dans un petit sac de papier brun, le kit complet nécessaire à la bonne manipulation de ce cathéter.

Big deal!

Ah! ce n’est pas tout. J’allais oublier les deux petits feuillets blancs si familiers. C’étaient les deux ordonnances du médecin de garde. La première pour un rendez-vous, le vendredi suivant, avec un urologue en clinique externe, et l’autre pour des antibiotiques, dont on se reparlera, mon amie.

Maman! C’est pas fini …!

À toi pour toujours
May West