mardi, juillet 18, 2006

L'autre zoo, la nuit (3)

Mon amie, lorsqu’on se sent impuissant devant la fatalité, ou soit qu’on se mette à crier, ou soit qu’on se taise. Ma sœur et moi n’avions pas le choix. Toute discussion un tant soit peu animée avec le médecin ou l’infirmière n’aurait pas servi à grand chose, sinon qu’à bouleverser maman davantage. Alors, on l’a installée tant bien que mal dans un fauteuil roulant, puis, je me suis empressée aussitôt d’aller chercher ma voiture dans le stationnement situé juste à proximité de l’urgence.

Il était plus de 4 h du matin. Déjà de faibles lueurs annonçaient vaguement le lever du jour. En plus de la brume qu'il faisait à cette heure, l’humidité était omniprésente. Sous une lumière blafarde, ma sœur attendait près de la porte de sortie de l'urgence avec maman enveloppée dans un drap d’hôpital.

Dans le stationnement, j’ai aussitôt démarré ma voiture, actionné les essuie-glaces, puis tourné le thermostat afin de faire sécher toute l’eau qui ruisselait sur mes vitres et mon pare-brise et m'empêchait de bien voir. Une fois près de la barrière, ah! merde de c …! je n’avais pas de jeton pour la faire lever! Après tout ce flot d'émois, j’avais oublié de payer en sortant de l’hôpital. Sentant la patience me lâcher, j’ai laissé ma voiture entre les balises de ciment de la barrière et je suis rapidement retournée sur mes pas. Au passage, j’ai prié ma sœur et maman de ne pas s’inquiéter et que je venais les chercher dans une minute.

Après être remontée dans ma voiture en serrant le précieux jeton entre mes doigts, je me suis mise à chercher pendant quelques secondes l’endroit précis où le déposer. Tout était si sombre. On ne voyait en fait qu’un petit rectangle lumineux où c’était écrit : « TOKEN ». J’ai alors appuyé le jeton en position verticale directement dessus. Je croyais que placé ainsi, il finirait par tomber à l’intérieur en le poussant avec mon pouce.

Erreur! Le jeton s’étant coincé là refusait absolument de bouger. Comme si un aimant l’avait aspiré pour l’empêcher de sortir. Rien à faire. Ni avec mes doigts ni avec ma clé de voiture. J’étais en nage. Puis, tout à coup, j’ai aperçu, juste à côté à gauche, la fente, dans laquelle j’aurais dû l’avoir glissé depuis le début. Justement, comme par hasard, les lueurs du jour commençaient à se faire de plus en plus insistantes.

En plus de réaliser dans quel pétrin je m’étais placée, je me morfondais en voyant au loin ma sœur et maman qui se languissaient certainement, sous la lumière blafarde, devant la porte de l’urgence. Puis, mes yeux se sont posés sur un petit bouton noir juste en dessous d’un microphone. Je l’ai donc poussé machinalement. Aussitôt, la machine s’est mise à cracher une voix nasillarde aux accents métalliques : « Vous avez des problèmes ? »

Je ne me souviens pas, mon amie, en quels termes j’ai expliqué au préposé la nature du problème que j’avais, mais, je me rappelle très bien lui avoir dit d’ouvrir cette barrière au plus vite, sinon je l’enfonçais sur le champ avec ma voiture. « Ne faites pas ça, madame, vous allez être poursuivie (ou enregistrée) par la sécurité de l’hôpital. » Faut-il te dire, mon amie, que je n’avais pas envie d’entendre ces propos-là? « Je m’en fous éperdument de votre sécurité, puis de la police et puis de l’armée aussi, mon cher monsieur…! », lui ai-je répondu, avant d’engager brusquement ma voiture en marche arrière.

Dans mon désarroi, j’ai à peine entendu qu’il enverrait quelqu’un le plus rapidement possible. J’avais la tête en feu. Je venais d'avoir la folle idée de faire le tour du stationnement, à toute allure, pour y trouver une issue à tout prix. Un bout de chaîne un peu plus basse ou complètement affaissée, un petit espace de rien du tout et de n’importe quoi, bref, enfin, que sais-je, un endroit assez large par où j’espérais pouvoir me sortir de là. Évidemment, sans trop endommager ma voiture. Et tout cela, bien sûr, avant que je ne saute une coche, mon amie!

Hélas! prise au piège comme une fauve en cage, je suis donc revenue complètement découragée vers la barrière. Heureusement, à l’aide d’un tournevis, le préposé était là, devant moi, en train d’essayer de sortir mon jeton coincé, lui aussi, dans l’affreux piège de cette nuit infernale. « S’il y avait eu un peu d’éclairage ici, je l’aurais vu votre fente! », lui ai dis-je, en sortant de là dans un état tel, que je n’ose même pas te le décrire ... Il était cinq heures moins vingt.

À toi pour toujours,
May West